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Cinq siècles d’évangélisation : comment devient-on chrétien ?
Qu’est-ce que c’est que devenir chrétien ? Et comment le devient-on ? Le chrétien est celui qui vit selon l’exemple du Christ. Il y a un lien très fort entre les croyances ou les discours, et les actes, toutes les questions liées aux comportements sociaux, aux transformations dans la durée.
Dans l’Antiquité, le christianisme, comme aujourd’hui, était théologiquement et institutionnellement divers. Parler de conversion recoupe des réalités très diverses, que souligne l’historien Hervé Ingelbert : la conversion des personnes et des peuples ; la victoire du christianisme dans l’Empire romain, la transformation de divers aspects sociaux, les relations entre païens et chrétiens, la réalité de la christianisation qui va évoluer au fil du temps et des lieux. Si, en Orient, elle « continuait d’être comprise, comme une victoire sur le paganisme menée par l’empereur, en Occident après 400, la christianisation fut interprétée comme un long combat interne à l’Église, mené par les clercs contre le passé païen toujours présent dans le comportement des fidèles. À une conception de la christianisation presque immédiate, de type conversion, s’était substituée une représentation d’une christianisation sans fin, un éternel combat que chaque époque, en variant ses critères d’exigence, pourrait reprendre… »
Un élément important est la date de naissance de Gaugericus vers 550. L’histoire du christianisme a déjà plus de cinq siècles, et celle de l’évangélisation de la Gaule pas beaucoup moins, même si on ignore presque tout des débuts de l’évangélisation, sans doute le fait de commerçants orientaux et juifs de langue grecque abordant les ports de la côte méditerranéenne et remontant la vallée du Rhône. Quand on regarde, une carte de l’évangélisation de la Gaule, telle qu’on peut aujourd’hui la reconstituer, les fleuves apparaissent comme les axes majeurs de la pénétration du message chrétien : le Rhône, bien sûr, mais aussi les autres fleuves. Si au concile d’Arles en 314 figurent principalement des villes de l’arc méditerranéen ; d’autres, plus lointaines, témoignent de l’évangélisation de villes fluviales. Bordeaux par la Garonne, Rouen par la Seine, Cologne par le Rhin, et Trèves par son affluent la Moselle.
Arles nous a laissés, témoignage de la christianisation, une série de sarcophages ornés de motifs sculptés dans la pierre reprenant dès le IVe siècle des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Arles, encore, qui accueille, en 314, le premier concile d’une longue série. L’histoire des conciles gaulois, par les textes qu’ils nous ont laissés, et les noms et sièges des évêques participants, sont une documentation précieuse. L’année précédente, en 313, l’empereur Constantin légalise le christianisme par l’édit de Milan. Une date capitale qui met fin aux persécutions antichrétiennes offrant aux Églises les possibilités de se développer. Pour la première fois, on trouve mention d’évêques au nord de la Gaule à Paris, Reims et Trèves. Ces deux dernières cités en sont déjà à leur quatrième évêque, ce qui semble indiquer une création vers les années 250. Lors du concile de Cologne en 346, on estime que la Gaule compte environ soixante-dix évêchés, ce qui montre le développement progressif du christianisme.
La Gaule a connu un long moment de paix religieuse. Les dernières persécutions sont au temps de Dèce vers 250. Et quand éclate la dernière grande persécution, celle de Dioclétien dans les années 299-304, la Gaule est protégée par la position clémente de Constance Chlore qui gouverne ce territoire. Cette paix va faciliter la consolidation du christianisme. Le premier évêque dont nous connaissons bien la biographie et l’activité épiscopale est saint Martin qui sera évêque de Tours de 371 à sa mort. Cette grande figure va être au croisement de deux phénomènes qui vont structurer durablement la spiritualité chrétienne du haut Moyen Âge : la littérature hagiographique, toutes les vitae qui vont mettre en scène la vie des saints ; et le culte des saints et des reliques.
Le paysage religieux dans lequel apparaît le christianisme en Gaule est divers et syncrétique. Croyances et cultes gaulois, romains, ou venus d’ailleurs se côtoient, se concurrencent, se mélangent. L’archéologie tire du sol de nombreux lieux de culte. L’évangélisation a commencé par les grandes cités. Elle fut plus lente dans les campagnes de la Gaule. Elle passe par la multiplication des lieux de culte qui, de la ville principale d’une cité, passent à ces circonscriptions locales qu’on nomme pagus ou vicus. La vita de saint Martin le décrit construisant un certain nombre d’églises dans son diocèse.
Il faudra longtemps pour que la christianisation structure en profondeur les attitudes mentales et les mœurs. Cela pose la question de la concurrence avec les cultes païens sur lesquels nous sommes peu renseignés, la littérature chrétienne du temps mettant beaucoup plus l’accent sur le combat contre les hérésies. La vita de Césaire mort en 542, le montre en lutte contre les ariens, les juifs, et ces nombreux péchés qu’affrontent tous les hommes, mais pas de lutte contre les païens. Il en va de même pour d’autres textes anciens, comme les vitae de Germain d’Auxerre ou d’Hilaire d’Arles. Une telle absence interroge. Le paganisme s’est-il effacé peu à peu du paysage religieux de la Gaule ?
Ce qui est absent de l’histoire de l’évangélisation de la Gaule, ce sont les persécutions systématiques et violentes qui anéantissent les premières communautés chrétiennes, telles que nous le raconte Alphonse Bourgeois en 1875. Si le souvenir de Blandine, Pothin et les 45 autres martyrs de Lyon en 177 est resté vivant, la Gaule est une des régions de l’Empire qui a connu peu de martyrs dans les périodes de persécutions. D’autant que, parmi les Barbares qui arrivent en Gaule, un certain nombre sont déjà chrétiens.