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De la Gaule au Royaume des Francs : rupture et continuité
Le IIIe siècle est un temps de crises alliant refroidissement climatique, révoltes fiscales, pénétration de populations germaniques ; tout cela entraînant de graves troubles politiques et une diminution de la population dans les régions les plus touchées. La ville de Bavay passe alors de 40 hectares à 6, enserrée dans des murailles. Notre région se trouve sur les arrières du « Limes », la ligne de défense que Rome a établie dès le 1er siècle le long du Rhin et du Danube.
Sécuriser les frontières est une nécessité. Devant la difficulté de trouver des soldats dans l’Empire, on les recrute au-delà des frontières. On les appelle lètes, ces individus ou petits clans, d’abord soldats, puis colons qui cultivent la terre. L’armée, où ils sont de plus en plus nombreux, va permettre d’intégrer ces barbares, qui deviennent de plus en plus présents à tous les niveaux de l’administration, militaire ou civile.
C’est dans ce contexte qu’entrent dans l’histoire de la Gaule romaine, les Francs, un peuple germanique originaire des boucles du Rhin. L’empereur Constant implante, dès 340, des Francs saliens dans la vallée du Rhin. Puis ils s’installent dans le nord de la Gaule, jouant un rôle important de protection militaire. Ils entretiennent souvent d’excellentes relations avec les autorités gallo-romaines, notamment les évêques. Leur conversion au catholicisme leur donnera un grand avantage, car ils seront le seul peuple « barbare » à partager la même religion que les populations gallo-romaines. Leurs concurrents, Burgondes et Wisigoths, ayant eux adopté une autre forme de christianisme : l’arianisme.
Hiver 407, les Vandales et les Alains franchissent le Rhin « gelé » pour entrer dans l’Empire. Longtemps, l’histoire a vu dans cet événement le début de ce qu’on a appelé « les grandes invasions ». L’installation de populations germaniques dans l’Empire romain est aujourd’hui perçue comme un phénomène complexe de migrations qui s’étale sur plus d’un siècle et concerne des populations peu nombreuses. Même si on manque de chiffres précis, on évalue ces tribus germaniques à moins de 1 % de la population de l’Empire.
L’arrivée en Europe centrale de populations asiatiques, ceux qu’on appelle les Huns, provoque des déplacements de populations, un effet domino. Et ce qu’on vient chercher dans l’Empire, c’est d’abord une protection. Pour faire face aux attaques contre cette frontière, des points de défense sont installés et des soldats sont recrutés dans les tribus germaniques. Des germains intègrent l’armée, parlent le latin, se frottent à la civilisation romaine. On a donc à la fois des « barbares » au service de Rome et de sa défense, et d’autres qui l’attaquent et la pillent. Certains chefs germaniques vont faire une carrière remarquable dans l’armée romaine et obtenir les fonctions les plus hautes, signe d’une remarquable assimilation.
Les Francs sont l’un de ces « peuples » germaniques qui ambitionnent de rejoindre l’élite de la population gallo-romaine, de partager leur culture. L’Empire romain a une puissante capacité d’intégration qui sera renforcée par l’universalisme chrétien. Les mariages seront un puissant outil d’intégration. Au bout de 3 ou 4 générations, il est parfois difficile de savoir qui est gallo-romain ou qui est franc.
Les années 400 à 420 sont des années difficiles. Des bandes militaires germaniques parcourent l’Empire pour s’y trouver une place. Rome est mise à sac par les Wisigoths d’Alaric. On entre dans un temps de compétition pour le pouvoir entre des généraux d’armées romano-germaniques. Un chef barbare doit pouvoir compter sur le soutien d’une suite armée de compagnons. Il les conduit à la guerre, leur assure une protection, leur donne le gîte et le couvert souvent sous forme de terres, d’un domaine où s’installer. Le long des routes qui relient Boulogne, Bavay et Cologne sont érigées des tours fortifiées tenues par des soldats germains intégrés à l’armée romaine. Ils défendent la frontière contre une immigration clandestine. En échange du service des armes, ces troupes reçoivent des terres à cultiver.
La Gaule romaine du Ve siècle est en pleine transformation avec le développement du christianisme et l’intégration progressive des peuples germaniques. On peut parler à la fois de rupture et de continuité. Rupture pour une Gaule qui devient un creuset de nouvelles identités politiques avec les royaumes barbares des Wisigoths, des Burgondes et des Francs. Continuité avec un paysage institutionnel et administratif de la Gaule qui reste dans une large mesure celui qu’a façonné Rome depuis 500 ans et qui demeurera longtemps encore.
Cela est facilité par les chefs germains qui adoptent un mode de vie inspiré par celui des classes aisées de la Gaule romaine. Ils s’installent progressivement comme grands propriétaires fonciers, vivront de moins en moins de la guerre et du pillage, et de plus en plus des revenus de la terre.
Cette période des Ve et VIe siècles est marquée de multiples transformations politiques, sociales, culturelles, fruits du mélange des apports romains, des éléments barbares et des valeurs de l’Église, donnant naissance à une civilisation nouvelle et originale, que l’on pourra à bon droit dire mérovingienne en Gaule.