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Évêque et protector civitatis
Les vitae de Géry ne nous donnent que de maigres renseignements sur son parcours. Par contre, les progrès de l’histoire et de l’archéologie nous permettent d’en savoir beaucoup sur ce qu’est un évêque aux temps mérovingiens. Le portrait que nous pouvons tracer de Géry est celui des évêques de son temps.
C’est dans les lettres de Paul et dans les Actes des apôtres qu’apparaît le mot grec ἐπίσκοπος/epískopos, qu’on peut traduire comme celui qui veille. S’ils sont présentés par la tradition comme les successeurs des apôtres, les origines de la fonction restent obscures, et vont se structurer peu à peu pour en arriver à partir des années 150 à un évêque pour une communauté dont il est le chef. Choisi par les clercs ou élu par le peuple, il est ordonné par d’autres évêques faisant de lui le détenteur de l’auctoritas, le pouvoir confié par Dieu à l’Église.
Quand, en 313, Constantin et Licunius promulguent l’édit de Milan qui assure la tolérance religieuse, les institutions de l’Église sont en grande partie fixées. Les évêques vont intégrer le groupe de ceux qui participent à la gouvernance de la cité. En bien des endroits, quand l’Empire se désagrégera, ils resteront la dernière et seule institution solide et, par la force des choses, ils assureront l’essentiel des pouvoirs, d’autant que l’État mérovingien dispose de moyens réduits pour contrôler un ensemble aussi vaste et divers que ce qu’on nomme désormais le regnum Francorum, qu’on traduira imparfaitement par le Royaume des Francs. L’historien Bruno Dumézil estime de 1000 à 3000 le nombre de « fonctionnaires » au service de l’État. D’où la nécessité d’une gouvernance des cités par l’Église, l’évêque et les clercs qui l’entourent.
Dès le IVe siècle, là où des évêques sont en place, ce qui n’est pas le cas à Cambrai, ils sont des personnages extrêmement puissants. À leurs fonctions pastorales s’ajoute un pouvoir temporel toujours croissant. Ils sont les héritiers de la curie municipale de l’Antiquité. En assumant des fonctions laïques, ils deviennent de puissants seigneurs temporels exerçant ce qu’on appelle les pouvoirs comtaux.
Les fonctions assumées sont diverses : porte-parole de la cité auprès du pouvoir royal, diplomate, collecteur de l’impôt, juges et parfois monnayeurs, protecteur des pauvres, des prisonniers. Il lui revient d’embellir la ville reprenant les fonctions évergétiques qui dans l’Antiquité, étaient assurées par les habitants les plus riches.
Il est difficile de distinguer ses fonctions de chef religieux, de toutes les autres responsabilités qu’il exerce. Il est celui qui rassemble le peuple pour le culte. Il veille à ce qu’on dispose des églises nécessaires pour cela. À Cambrai, comme dans toutes les villes épiscopales, on se rassemblait pour les cérémonies hebdomadaires, et pour suivre le rythme de l’année chrétienne. Hors des églises, les processions étaient importantes, telle celle des rogations.
Comme chef religieux, il est celui qui instruit le peuple, qui lutte contre l’hérésie. Au service de cette mission, il veille à choisir des prêtres, et aussi à installer dans la ville, où au-delà des portes, des monastères de moines ou de moniales, un phénomène particulièrement vivant dans le nord de la Gaule.
On peut, encore, mettre en avant un rôle essentiel, celui de la création d’un nouveau peuple, non plus basé sur des critères ethniques, les Romains contre les Germains, mais sur des repères politico-religieux, un peuple, communauté des croyants, qui se rassemble dans la soumission et la révérence à Dieu, au-delà de toutes les différences entre les groupes et les individus. |
En savoir plus 2Un évêque bâtisseur
Un évêque mérovingien est un bâtisseur. Mais que savons-nous de l’œuvre des premiers pasteurs de Cambrai et particulièrement de Géry ? Que nous révèlent les fouilles patientes dans le sol et les archives ? La ville de Bavay ne s’étant pas relevée des saccages du début du Ve siècle, c’est Cambrai qui devient le siège de l’évêque. Le plan de l’historien Michel Rouche montre que la ville est alors un castrum romain, d’un peu plus de quatre hectares, une des plus petites enceintes de la Gaule, à comparer avec la métropole de Reims et ses 56 hectares. Le castrum n’est pas la totalité de la ville, mais ses murs solides protègent les bâtiments et servent de refuge à la population en cas d’attaque.
En 1893, Alphonse Bruyelle proposait d’en délimiter le tracé par « les rues actuelles de la Caille, des Clefs, de Quérénaing, la place Fénelon, les rues du Temple et de Sainte-Anne. La grand’rue Fénelon, les rues de Saint-Jérôme et du Marché aux poissons et enfin par la rue Sainte-Agnès, appelée aujourd’hui grand’rue Vanderbuch ». Avec, comme souvent, deux rues principales se croisant à angle droit : le cardo orienté nord-sud et le décumanus, est-ouest.
Le long épiscopat de Géry, 39 années, est riche de construction. C’est probablement Vedulf, son prédécesseur qui a construit le long de la muraille une cathédrale dénommée Sainte-Marie. C’est la première des trois ou quatre cathédrales qui se succéderont au même endroit sur l’actuelle place Fénelon jusqu’à la révolution.
Géry fera édifier un palais épiscopal au nord de la cathédrale, puis deux églises à l’extérieur du castrum : Saint-Martin et Sainte-Croix. Pas d’église sans reliques. Grégoire de Tours signale qu’un « homme du territoire de Cambrai » vint chercher des reliques au tombeau de saint Martin. Quant à la Sainte Croix, c’est la reine Radegonde vers 570 — 573 qui en avait répandu le culte en Gaule, après avoir obtenu de l’empereur Justin II des reliques.
Cette église Saint-Martin située sur l’actuelle place du Beffroi deviendra un monastère de moniales et accueillera le corps de sainte Maxellende.
Enfin, ce qui sera la plus importante construction de Géry est l’église bâtie à l’écart sur la modeste colline du Mont-aux-Boeufs, l’actuelle citadelle qui sera dédiée à saint Médard et saint Loup. Cette église deviendra une abbaye et un lieu de pèlerinage, car c’est le lieu choisi par Géry pour son tombeau. L’abbaye sera entièrement détruite quand Charles Quint décidera en 1545 de construire à son emplacement une citadelle. L’église Saint-Médard changera de nom prenant celui de Saint Géry.
Il ne faut pas la confondre avec l’actuelle église Saint-Géry. Elle doit son origine à Aubert, qui la fera construite, ou reconstruire. Une tradition en fait l’église mère de Cambrai, la première. On la désigne alors sous le nom de Saint-Pierre. Elle deviendra aussi une abbaye importante. À sa mort, il y fera déposer son corps, et comme l’église Saint-Médard était devenue Saint-Géry, Saint-Pierre devint, elle, Saint-Aubert, avant beaucoup plus tard de prendre le nom de Saint-Géry.
Sur le plan de Michel Rouche figurent encore deux églises : Saint-Vaast, et Saint-Éloi construite probablement à la fin du VIIe siècle par l’évêque Vindicien. Partie de pas grand-chose, la ville de Cambrai comptait à la fin de la période mérovingienne sept églises, un chiffre révélateur de l’œuvre de bâtisseurs des évêques des VIe et VIIe siècle, un âge d’or qui sera suivi d’une longue et difficile période de stagnation due à l’insécurité, aux invasions normande et hongroise. Il faudra attendre une vague d’expansion économique et la réforme de l’Europe chrétienne pour qu’à partir du XIe siècle, la ville retrouve son élan des temps mérovingiens. Il faut d’ailleurs attendre ce XIe siècle pour voir construire un nouvel édifice religieux, même si l’on n’est pas resté inactif dans toute cette période, Cambrai ayant connu de nombreuses destructions et reconstructions. |